Samedi 14 juin 2008

Conférence 2008 : " L'AEROPORT DE CANNES - SAINT CASSIEN, DE LA MER AUX ETOILES "


Dans la foulée des véritables débuts de l'aviation en France en 1907/1908, et notamment l'arrivée des frères Wright au Mans en août 1908 avec leur Flyer A, le bruit courut dès le mois de décembre d'un transfert sur Pau et Cannes. La société Ariel, dirigée par Michel Clémenceau (le fils du Tigre, co-fondateur de la SEA Société d'Encouragement à l'Aviation), fut chargée en février 1909 de commercialiser les biplans Flyer, produits par la société Astra du mécène Henri Deutsch de la Meurthe. L'ingénieur Eugène Lefèbvre, directeur de l'Ariel à Cannes, créa sur place une école de pilotage, équipée en Wright, avec comme instructeur le pilote-maison, le Comte de Lambert (instruction achevée le 27 mars) et Léon Delagrange. Quatre hangars de 130 m² furent ainsi érigés en février dans la Plaine de Laval, permettant l'arrivée du deuxième Flyer A le 24 avril 1909, apparemment celui initialement prévu pour Pau. Après mise au point par Château en présence de Clémenceau, de Lambert fit le 18 mai une ligne droite de 40 m, suivie de trois tours du terrain, soit 2 km. Ce fut le premier vol sur la Côte d'Azur, venant après les envolées de Fernandez à Antibes-La Brague le 24 avril précédent. Mais la saisie de la machine début mai à la demande d'un entrepreneur impayé, entraîna le départ du Flyer fin mai pour Juvisy après cet unique vol.



Suite à la traversée de la Manche en juillet, de nombreuses initiatives privées, avec le soutien du maire André Capron, aboutirent à l'acquisition des terrains Dubset et Westerman à la fin de l'année. Situés au fond du Golfe de la Napoule, ils étaient abrités des vents dominants par les hauteurs environnantes, une situation unique dans les Alpes Maritimes. L'Aéro-Club de Cannes et une section locale de la SEA proposèrent en septembre à l'Aéro-Club de France d'organiser un meeting d'aviation, depuis celui de Viry-Châtillon/Juvisy en mai 1909, relayés début décembre par un Comité d'Aviation de la ville avec les adjoints Paul Jeancard, René Lacour et Perreard. Il fut homologué le 7 décembre, sous la forme des Meetings d'Aviation de Cannes et Nice en mars et avril 1910.Une activité intense débuta dès lors en 1910, avec deux Humber anglais de type Blériot XI, venus chercher le beau temps : le capitaine Geo Dawes capota au décollage le 9 janvier, suivi le lendemain de J.V. Neale avec le même résultat, mais ils partirent pour Heliopolis dès le 18. L'école Wright ressurgit le 2 février : Paul Bablot, nommé par l'Ariel directeur de l'aérodrome en octobre précédent (envolée de 150 m), Paul Hesne (300 m), Nivière et Nicolas Popoff (venant de Juvisy). Le 10 février ce furent Robert Braun sur Grégoire GYP (50 m) et John Moisant sur son Corbeau (300 m), puis le 19 Thomas sur monoplan Asquier-Régence, et le 27 Bernard de Virel sur Grégoire GYP. En vue du meeting, l'Ariel envoya Louis Gaubert en mars roder les installations.

L'un des tous premiers meetings français, après Douai, Vichy et Reims s'ouvrit donc à Cannes le 27 mars, avec une piste agrandie de plus de 500 m, et 18 pilotes, dont René Hanriot, l'américain Sands, le hollandais Frederik de Rymsdyck et le luxembourgeois Wiesenbach, volant sur Antoinette, Blériot, Curtiss, Farman, Grégoire GYP, Hanriot, & Voisin. La réglementation était celle de la FAI (Fédération Aéronautique Internationale), créée à Paris dès 1905. De nouveaux hangars furent installés par l'Ariel. Devant 30.000 personnes, et en présence de la Duchesse de Mecklenbourg-Schwerin, Popoff sur Wright et Christiaens sur Farman remportèrent les plus grosses sommes.



Mais il n'y eut pas de suites, les activités aéronautiques dans la région se déplaçant à Antibes et Nice, si ce n'est la première liaison Cannes-Nice-Monaco le 22 mars 1913, avec un Astra CM de la CGT et deux passagers. Il faut dire aussi que les nombreux prix distribués lors du meeting ne furent payés, après procès, qu'en juin 1913!
Un long sommeil s'ensuivit, jusqu'à ce que Capron fasse établir en novembre 1927 un projet d'aéroport commercial, avec base pour hydravions, qu'il envoya notamment au Maréchal Lyautey, président du Comité Français de Propagande Aéronautique. Mais ce furent pour beaucoup des initiatives privées qui permirent le décollage du premier aéroport commercial de la région, destiné à drainer la clientèle du golf, du casino et des courses. Ainsi, le directeur du Casino Municipal, François André, finança-t-il à l'attention de sa riche clientèle anglaise une ligne quotidienne avec Londres-Croydon à compter du 1er mars 1928 (mais avec tronçon final Marseille-Cannes en hydravion). Le commandant Ferdinand Bret, conseiller municipal, prit des contacts avec le célèbre ingénieur Louis Breguet. C'est alors que son fils Edward, pilote de course, découvrit l'aviation et échangea en 1929 sa Bugatti pour un biplan DH 60 Moth, qu'il basa au Polo, entre l'Hippodrome, la RN 97 Fréjus-Cannes et la Siagne (il gagna en 1930 et 1931 la Coupe militaire Zénith, tour de France aérien, avec un modèle amélioré). La ville débuta des négociations en juin avec la SACAP, SA pour la Constructions d'Aéroports, présidée par l'as des as René Fonck, et dont le conseiller technique était l'as Paul Tarascon, ainsi qu'avec Albert Caquot, directeur technique au Ministère de l'Air. Au mois d'aoùt, Bret approcha André Auniac, importateur de la bière Guiness en France, nouvellement élu président des Chantiers Aéronavals Etienne Romano, qui avait déjà financé plusieurs affaires à Cannes, mais celui-ci ne voulut pas s'engager. Une Commission d'Aviation fut créée en octobre par le premier adjoint au maire, Raymond Picaud, présidée par Ferdinand Bret.

Fin 1929, alors que la SACAP proposait des devis de 16 à 20 MF selon les variantes, une autre société de réalisation d'aéroports, la CASE (Constructions d'Appareillages & de Spécialités Electriques), sollicita la mairie, proposant notamment d'acheter les nécessaires terrains. Mais c'est finalement le pilote et industriel Hippolyte Parent, avec l'appui de Tarascon, qui lança le processus en signant le 31 janvier 1931 un bail de location pour trois ans, avec promesse de vente à 4 MF, pour un terrain de 26 ha appartenant à François Cristore, situé à l'intérieur de la boucle du Béal, au sud de la RN 97 de Fréjus à Cannes, avec la butte St Cassien à l'angle nord-est. Les travaux d'aménagement avaient en fait déjà démarré le 17, avec coupage des arbres, nivellement, et marquage de deux pistes en herbe. Prévoyant, Parent entreprit également d'acquérir les terrains d'Antoine et Donat Astegiano (7 ha) et Madame de Guilhermier (40 ha), afin de porter la surface totale à 70 ha.



La STAR (Société Transports Aériens Rapides), subventionnée par la mairie, put dès lors démarrer en mars un service livrant les journaux du matin parisiens et rapportant des fleurs fraîches dans la capitale, faisant ainsi de Cannes l'unique aéroport civil azuréen jusqu'en 1945. Mais rapidement confronté à des difficultés de trésorerie, d'autant plus que le Ministère de l'air, en échange d'une subvention d'un tiers, avait demandé une extension nécessitant la location du terrain Vial. Parent eut l'opportunité de rencontrer Auniac en juin, réussissant à le convaincre. Moyennant l'achat par la ville des terrains, il proposa de créer une société d'exploitation de l'aéroport. Le Conseil Municipal du 17 juillet ayant approuvé cette démarche, la Société de l'Aéroport Cannes Côte d'Azur fut ainsi créée le 24 août, avec Auniac comme président, ainsi que Parent. Outre le paiement des loyers, dès le 11 septembre elle prit le relai des travaux d'aménagement, terminés le 30 novembre : réalisation d'une aire cimentée, construction d'un hangar de 18x36 m et aménagement de celui de la ferme Cristore (10x30). Parent fit de son côté déplacer la ligne à haute tension qui traversait le terrain. La ville décida le 15 octobre d'acheter les 74 ha de terrain nécessaires.

Le 22 février 1932, subventionnée par la ville, Air Union (intégrée à Air France en août 1933) débuta l'exploitation quotidienne d'une liaison sur Paris en Breguet 284, avec correspondance pour Londres. Le Ministère de la Défense autorisa le 26 avril 1932 l'exploitation de l'aéroport, ouvert à la circulation aérienne privée. Deux pistes de 700m (nord/sud) et 550 m (est/ouest) furent mises en service, limitées aux avions de taille moyenne, cependant que les militaires utilisaient gratuitement le terrain, avec un hangar en toile Bessonneau. L'Etat ayant subordonné en octobre on aide au passage de la superficie à 100 ha pour accueillir les avions lourds, et à l'allongement la piste nord-sud à 1 km, la ville décida le 27 décembre 1932 l'achat, par expropriation si nécessaire, de 26 ha de terrains supplémentaires. Dès le lendemain une convention fut établie entre le maire Gazagnaire et la Société de l'Aéroport pour exploiter celui-ci pendant 30 ans, avec paiement de 50% des annuités d'intérêt de l'emprunt de la ville. Le même mois vit le premier vol du premier avion terrestre de Romano, le trimoteur R 6, suivi en février 1933 de son cousin le R 16. D'interminables négociations pour l'aide de l'Etat dans l'achat des terrains continuaient cependant, alors que l'échéance du 1er juillet 1933 arrivait pour l'acquisition du terrain Cristore. Un accord fut obtenu in extremis avec la ville sur 3,92 MF, dont 1,5 payable par la Société de l'Aéroport, avec report de l'échéance au 1er juillet 1935. Le 10 juillet le Ministre Pierre Cot promit 10 MF, réduits un an plus tard à 2,5 MF pour un aéroport de 50 ha, puis 4 MF en décembre 1934, et 4 MF pour 100 ha en juillet 1935 ! Pendant ce temps, l'Armée de l'air, qui avait sur place une école de mécaniciens, utilisait le terrain une à deux fois par an pour les manœuvres des Alpes de printemps et d'été. Le terrain, avec une station-service Caudron, était très actif : Tour de France 1932, Bienvenue Aérienne, Coupe Esders Cannes-Deauville, Challenge International Aérien, Coupe Féminine Hélène Boucher Paris-Cannes le 31 août 1935 et en 1936, Congrès des officiers de réserve de l'Armée de l'air,… L'Etat n'ayant alors toujours pas payé, suite à la crise, Auniac dut s'engager en juillet 1935 pour ne pas perdre tout l'acquis. Il demanda alors l'aide de Romano, qui était soutenu par les banques londoniennes, et venait de sortir le très réussi biplan de voltige R 80 : le prêt de 79 M£ ainsi négocié permit de verser un acompte à Cristore, et d'obtenir un nouveau délai de deux ans. C'était sans compter avec les dévaluations successives, et la nationalisation des industries de guerre (armements et avions) votée en août 1936, qui entraîna d'ailleurs dans le cadre de l'Aviation Populaire la création d'un deuxième aéro-club, les Ailes d'Azur. Non seulement Romano fut ainsi exproprié le 26 janvier suivant (et intégré à la SNCASE le 1er février), mais l'aéroport également le 18 février, au motif que les CAER en étaient propriétaires !



Les 13 et 24 juin 1937, Saint-Exupéry passa à Cannes avec son Caudron Simoun. En mars 1938 le bimoteur multi mission R 110 fit son premier vol, rapidement suivi du bombardier léger bimoteur R 120, mais seul le R 80 fut construit en série, à partir de juin 1937, 190 exemplaires pour l'Armée de l'air, la Marine, la Belgique, l'Espagne et quelques privés, avant que la guerre ne soit déclarée le 3 septembre à l'Allemagne. Du 11 septembre au 8 octobre, le Groupe de Chasse II/3 stationna sur le terrain, avec ses Morane-Saulnier MS 406. A compter du 26 septembre 1939 à 0 h la 4è Région Aérienne réquisitionna plusieurs parcelles du terrain. Le dernier vol civil eut lieu le 7 octobre, avec la réception du R 82 n° 161, le jour même où une trentaine de MS 406 du GC I/3 arrivèrent, avec deux Bloch 200 remorqueurs de cible et un Potez 650 de transport. Ces avions furent utilisés pour le tournage du film " Untel père et fils ", avec Raimu, Jouvet, Michèle Morgan, déjà à Cannes… Les premières expropriations furent lancées par le Préfet le 20 novembre. Pendant la drôle de guerre, cinq bombardiers légers Caproni Ca 313 furent livrés à l'Armée de l'air, après équipement début 1940 à Cannes par Romano, celui-ci ayant signé dès 1930 un accord avec le grand constructeur transalpin.

Ce fut alors le 27 janvier 1940 l'historique arrivée à Cannes des premiers Dewoitine D 520 de l'Armée de l'air, le meilleur chasseur français de la guerre, avec le GC I/3. L'offensive allemande du 10 mai entraîna dès le lendemain le départ vers le nord des 42 machines, qui avaient été inspectées par le Duc de Windsor. Il n'y eut que quatre vols civils d'août à décembre 1940. L'une des conséquences inattendues de la défaite fut l'un des plus incroyables épisodes de l'histoire de l'aéronautique, avec la décision de regrouper l'essentiel des bureaux d'études aéronautiques français en un endroit le plus éloigné possible de la ligne de démarcation : Cannes. C'est ainsi que les études des sociétés SNCAC, SNCAN, SNCAO, SNCASE et SNCASO y furent transférées en mars 1941, sous la houlette de cette dernière, avec Marcel Bloch (futur Dassault). Trois prototypes français furent conçus, dont le Bloch 800P postal qui fit son premier vol le 23 décembre 1941, avec l'ingénieur Servanty, futur père du Concorde. Parmi les trois vols civils de mars 1941, il y eut l'avion commercial le plus rapide du monde, le quadrimoteur Potez 662. Le terrain reçut aussi le 1er avril le prototype du Languedoc, avec comme pilotes Rastel et Bret. Le 10 octobre suivant les vols civils furent arrêtés, ne laissant plus que les vols militaires allemands. En novembre le hangar (aujourd'hui le n° 1 des aéro-clubs) abritait également le SO 30 et le SO 90. Le 16 août 1943, le plus incroyable premier vol de l'histoire, débuta à Cannes lorsque Maurice Hurel, directeur technique, s'enfuit avec le prototype même pas fini du bimoteur postal SO 90 avec 9 personnes à bord…pour un vol en ligne droite de 3 h 10 à basse altitude, train sorti, cap estimé au sud, et premier virage pour atterrir à Philippeville en Algérie ! L'aérodrome fut dès lors fermé, pour ne rouvrir qu'en janvier 1945 pour les avions alliés. C'est alors, avant même l'Armistice, que le SO 30, retour de son stockage à Flayosc, décolla le 26 février pour son premier vol : il fut le premier bimoteur commercial pressurisé au monde ! C'est cette concentration sans précédent qui explique le retour étonnement rapide des ailes françaises après guerre, la rationalisation de ses sociétés et de ses usines avant tout le monde, et l'expérience unique de notre pays en matière de coopération aérospatiale internationale.

L'aéroport a depuis connu d'autres grands moments : Charles Fauvel, dont l'AV-36 fut la première aile volante civile construite en série au monde, une centaine vendue dans le monde entier, s'installa à Cannes dans les années 50. Suite à sa victoire dans la course Paris-Cannes sur Vampire le 29 août 1954, Jean-Marie Saget devint l'emblématique pilote d'essais de Dassault. L'Aéro-Club de Nice fut accueilli à Cannes en 1959. Le 6 juillet 1960 s'envola le Fournier RF-01, premier motoplaneur de série au monde, dont les versions ensuite produites à Gap, en Allemagne et au Brésil sont aujourd'hui encore exportées sur toute la planète, avec plus de 1.000 exemplaires. C'était aussi l'époque où le Salon de Cannes biennal, dont le premier eut lieu du 31 mai au 11 juin 1962, était le plus grand pour l'aviation générale en Europe.

P. Jung 15.4.07
Bibliographie
Carnet de vol (Didier Gayraud, Paul Maurt)
GC I/3 Les as du Dewoitine D 520 (Avions HS n° 14)
L'industrie aéronautique française repliée à Cannes durant la guerre (Philippe Jung - Pégase n° 115 à 117)
100 ans d'aéro-clubs sur la côte d'Azur (Léon Robin)
Archives communales de Cannes,

Photos :
*Plan 1912 : [Archives communales de Cannes]
*Flyer A : Baratoux, l'un des trois premiers clients du Flyer A, lors du meeting de 1910 [Carnet de vol, coll. Paul Maurt]
*Meeting 1910 : [Archives départementales 03FI 02557]
*Plan 1932 : [Archives communales de Cannes]
*Horaires AF [Carnet de vol, coll. Paul Maurt]
*Vue aérienne [Carnet de vol, coll. Paul Maurt]
*R 6 [coll. Philippe Jung]
*D 520 : Exceptionnelle photo couleurs d'un D 520 du GC I/3 à Cannes-Mandelieu, début 1940 [Edith Méot-Carrier, via Jacques Sacré/Air International 8.97]
*SO 90 : Cannes, le 16 août 1943, le prototype non terminé du SO 90, sur le point d'embarquer son dernier passager, Jean Turck (à gauche), pour le premier vol le plus rocambolesque de l'histoire. Noter au fond le SO 30N, dans le hangar n° 1 [Collection Philippe Jung]



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